Jacques Toubon: ce que le logement lui doit

Jacques Toubon: ce que le logement lui doit

Six ans d’un travail de chaque instant, un demi-million de dossiers traités, près de 1500 décisions et près de 80 rapports. Voilà le bilan froid, fruit du comptage administratif, de Jacques Toubon en tant que Défenseur des droits, alors qu’il a quitté son poste il y a quelques jours, le 16 juillet 2020.

Le successeur de Dominique Baudis, qui a eu droit à l’hommage national qu’on doit aux justes, aura accompli sa mission avec un engagement total, une lucidité remarquable et un courage peu commun, pour aider les citoyens à préserver leurs droits. Sur les quatre grands chantiers qui lui incombaient, les relations entre usagers et services publics, la lutte contre les discriminations, la déontologie de la sécurité et la protection des lanceurs d’alerte, l’ancien garde des sceaux de Jacques Chirac n’aura pas ménagé sa peine.

 

Qui mesure l’action qu’il aura menée ? Celles et ceux, des milliers, de qui il aura sauvegardé la liberté ou restauré la dignité bafouée. Et aussi une organisation professionnelle qui a ajouté ses efforts à ceux du Défenseur pour que le logement soit un jour sans faille un lieu républicain, où règne la liberté, l’égalité et la fraternité, l’UNIS, syndicat de référence des administrateurs de biens, des agents immobiliers et de l’ensemble des métiers de service à l’immobilier.

 

Jacques Toubon, en réponse à la question d’un journaliste de Libération confessait récemment : « Les Français me paraissent accepter avec une certaine désinvolture (le) recul des libertés. J’ai l’impression que dans l’esprit du public, ces droits n’ont plus la place prépondérante qui était la leur depuis la Seconde Guerre mondiale. il y a une sorte de phénomène de cycle. Un cycle historique, culturel et presque psychologique. » Il ne faut pas se résigner et dans le domaine du logement, le combat vaut d’être mené encore plus qu’ailleurs : le logement est avec l’emploi le marqueur social le plus fort. L’enjeu est d’éradiquer la discrimination dans la location et dans la vente, mais aussi les comportements d’exclusion au sein même des immeubles de celles ou ceux qui sont différents. Depuis que le testing a été légalisé, on a vu combien le mal était généralisé et profond. Les professionnels de la transaction et de la gestion doivent être irréprochables, respecter la loi et ne pas distinguer entre les personnes selon des critères non pertinents.

 

Avec l’institution pilotée par le Défenseur Toubon, notre organisation professionnelle a édicté une charte et un guide pour lutter contre la discrimination. Nous avons aussi construit des formations dédiées pour que les administrateurs de biens et les agents immobiliers, qui ont la responsabilité de donner accès au logement, d’œuvrer au bien vivre dans le logement et d’y garantir le respect des lois, comprennent les enjeux moraux, la dimension éthique, les risques pénaux et que leurs pratiques en soient transfigurées.

 

L’UNIS est aussi à l’origine d’une proposition relayée par le député Mickaël Nogal, tendant à rendre obligatoire la sensibilisation aux questions de discrimination dans le logement dans les contraintes règlementaires de formation continue des professionnels immobiliers. Il est d’ailleurs à souhaiter qu’à cette demande adressée au législateur, alors que la proposition de loi Nogal devrait être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale, le gouvernement et le parlement fassent droit... Dans la même interview précédemment citée, à la question « Après six années passées à la tête de cette structure, quel est votre plus grand regret ? », le Défenseurs répliquait « Mon plus grand regret, c’est que nos recommandations, nos demandes de sanctions disciplinaires ne soient pas assez suivies en droit. »

 

Conformément à l’article 13 de la Constitution, les assemblées parlementaires sont désormais appelées à valider le choix du Président de la République quant à la succession de Jacques Toubon, qui aura été un grand Défenseur : Claire Hédon, après des hommes politiques qui ont tenu la fonction de Médiateur de la République puis de Défenseur des droits, est une femme extérieure à la politique. Journaliste, attachée à révéler la vérité plus qu’à rapporter les faits, elle aura milité vingt ans à la tête d’ATD-Quart Monde : sa sensibilité à la discrimination et à ses terribles conséquences sur les plus fragiles la désigne pour cette fonction.

 

Avec elle, la communauté immobilière ne doit plus viser une amélioration de la situation et s’en contenter : elle doit vouloir le zéro défaut, le résultat que l’on attend de tiers de confiance, celui qui érigera l’intermédiation comme incontournable. Au demeurant, tel réseau national de transaction réputé, Century 21, aux termes de la plus récente enquête de SOS Racisme il y a quelques mois, a fait la preuve qu’on pouvait l’atteindre : la didactique et l’explication inlassables sont d’évidence les moyens les plus efficaces de parvenir à ce résultat, avant que la sanction n’intervienne quand elle est nécessaire.

 

Il faut le dire sans ambages : la dignité professionnelle ne pourra pas être valablement revendiquée par les agents immobiliers et les administrateurs de biens tant que certains d’entre eux se rendront coupables de malmener les libertés fondamentales.